Comment perdre son job grâce à l’IA (le plus vite possible)

9 décembre 2025


6 mins de lecture


Vianney Vaute

Cofondateur de Back Market

Oh : un article en forme de gouffre financier !

Tenez, voici une punchline qui vous permettra de faire votre intéressant.e auprès du fils de la voisine dans quelques années : 

“Écoute petit, en 2026 moi aussi j’ai perdu mon job à cause de l’intelligence artificielle, mais pas de la manière que tu crois”.

Car si l’idée de voir des machines remplacer des millions d’emplois n’est pas neuve, le risque immédiat que l’intelligence artificielle - ou “IA”, pour le dire avec moins de pixels - fait aujourd’hui peser sur nos contrats de travail est bien plus old school qu’on pourrait le croire. Ça pourrait en fait ressembler à une bonne crise économique à l’ancienne, façon “krach boursier 1929” ou “subprimes 2008”. Voici juste ce qu’il faut de chiffres pour l’illustrer : 

  • Le développement de l’IA coûte cher. Très. Rien qu’en 2025 c’est 400 milliards de dollars investis. Ça représente 1.2% du produit intérieur brut américain. Soit à peu près la proportion des investissements dans les télécoms… la veille de l’explosion de la bulle internet en 2000. Pop.

  • Tout ce bel argent, ou presque, va dans la construction de data centers : de gros et moches hangars avec des puces électroniques sous stéroïdes à l’intérieur, qui délivrent la puissance de calcul nécessaire à l’IA.

  • Les data centers sont des ogres qui dévorent une énergie de dingue et des montagnes de cash. Des monstres qu’il faut continuellement nourrir, comme dans Jurassic Park ou un resto d’entreprise à Puteaux : on estime qu’une puce électronique utilisée pour l’IA doit être remplacée tous les 2-3 ans. 

  • A ce rythme de développement, la banque Morgan-Je-Suis-Fan-De-Toi-Stanley estime donc que les investissements devraient grimper à 3,000 milliards (à Gstaad on dit “trilliards”) d’ici 2028. 

Ces chiffres sont super en ce qu’ils donnent le tourni, comme du poppers. Mais du coup, où est le problème ?

Le souci c’est que pour justifier de tels investissements, il va bien falloir mettre des revenus en face (à Gstaad on dit “retours sur investissements”). Or aujourd’hui, niveau revenus générés par l’IA… c’est pas la bamboche. Environ 20 milliards pour 2025 - à comparer avec les 400 milliards investis. Pas de quoi sortir la machine à fumée.

Une crise financière déclenchée par l’IA pourrait se profiler à l’horizon.

Une crise financière déclenchée par l’IA pourrait se profiler à l’horizon.

“Dans ma bulle, la réalité te rattrappe” - Diam’s

Est-ce que dans un futur proche l’IA générera suffisamment de revenus pour justifier les investissements et donc éviter l’explosion d’une “bulle financière” ? Il faudrait pour cela que cette technologie tienne toutes ses promesses. C’est-à-dire de montrer qu'elle est vraiment capable de transformer notre monde trèèèès en profondeur. De rendre les entreprises spectaculairement plus productives. De développer des traitements médicaux révolutionnaires. D’aider Michel Polnareff à produire un nouvel album (je sais pas quoi mettre en italique dans cette dernière phrase). Etc. Bref, de produire des outils pour lesquels des millions de personnes et d’entreprises seront prêtes à payer vraiment cher. Parce qu’aujourd’hui, 70% des revenus d’OpenAI (le créateur de ChatGPT), c’est 40 millions de personnes qui déboursent $20 par mois. C’est sympa de leur part, mais pas suffisant pour amortir les montagnes de milliards investis.

Il ne fait pas de doute que l’IA produira un jour ce genre de percées technologiques. Mais pour en revenir à notre cher et potentiel krach boursier, l’enjeu est de savoir si c’est plutôt pour “bientôt” ou “dans 10 ans”. Et dans le second scénario, une correction prochaine semble inéluctable, comme pour l’éclatement de la bulle internet de 2000 (puis on a eu l’iPhone et Facebook dix ans après, en gros).

Et si la bulle de l’IA faisait pop, ça devrait laisser des traces sur les murs, vu qu’elle est 4 fois plus grosse que celle des subprimes (!), qu’elle implique à fond les 7 entreprises technologiques les plus sexy (lol) des marchés, et qu’on peut soupçonner que le reste du système financier a probablement 5 ou 6 doigts fourrés dans le pot de confiture. Mais ça, on s’en aperçoit toujours qu’à la fin du film, quand l’économie (la vraie) est à terre. Et nos emplois avec.

On est arrivé à la fin de la démonstration pour le fils de votre voisine. D’ailleurs, il est temps de conclure.

“Dans ma bulle, la politique a fait un bide” - Diam’s

Il existe pas mal de fanzouzes du “laissez-faire” dans la Silicon Valley (ou à Gstaad) qui pourraient rétorquer que tout cela ne nous regarde pas, qu’ils ont encore le droit de faire ce qu’ils veulent avec leur capital, de l’investir où bon leur semble, etc. Mais les États, et à travers eux les citoyens, auraient au contraire tout intérêt à mettre le nez dans la petite ghost-kitchen-financière des géants de l’IA, vu les montants qu’on y mijote et les potentiels effets dévastateurs de l’explosion d’une telle bulle sur l’économie.

D’autant qu'on parle d’une technologie capable de transformer notre monde au moins aussi profondément que l’agriculture il y a 20,000 piges (ça ne nous rajeunit pas) ou la machine à vapeur au 19ème siècle. Si on ne fait pas travailler le “muscle politique” dès maintenant, sur le sujet de son financement, comment espérer qu’on en garde la maîtrise des usages dans le futur ? Et plus généralement, le fait qu’on injecte autant d’argent, aussi vite, dans le développement d’une technologie d’une puissance potentiellement inouïe (et potentiellement dévastatrice) ne devrait-il pas nous inquiéter ? L’IA ne devrait-elle pas être l’affaire des philosophes, des politiques, des anthropologues, avant d’être une aubaine pour les marchés financiers ?

Le plus fou, c’est que j’ai presque honte de paraître naïf en écrivant cette dernière question, tellement tout nous pousse à croire que cette course technologique est inévitable. Sauf qu’elle ne l’est pas : on peut aussi décider de ralentir, de réfléchir, et même parfois de faire marche arrière. Parlez-en au trou dans la couche d’ozone et aux bébés-OGM : ils s’en souviennent encore et nous en veulent à mort.

Beaucoup d’économistes font le lien entre la bulle qui gonfle aujourd’hui et celle des chemins de fer au Royaume-Uni en 1845 (6% du produit intérieur brut à l’époque, les types n’y allaient pas avec le dos de la chaudière). Au pic de la spéculation, les petits génies du ferroviaire avaient construit trois voies de chemin de fer distinctes pour aller de Liverpool à Leeds et de Londres à Peterborough. Lol.

Le capitalisme, au contraire de la démocratie, n’est pas un vaccin contre la bêtise. Et à un moment où des apprentis-sorciers dépensent sans compter pour créer un potentiel Terminator-mais-en-vrai, ce serait bien de s’en souvenir. Allez, je vous laisse, avec le jingle de la SNCF pour détendre un peu l'atmosphère : Paaapa, paaaala.

Cheers, Vianney

Écrit par Vianney VauteCofondateur de Back Market

Vianney Vaute est le cofondateur de Back Market. Il aime partager son avis sur la technologie, alors que personne ne lui a demandé de le faire. Non. Mais. Franchement.

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