Crise des déchets électroniques : The Shift Project lance l’alerte

11 avril 2025


4 mins de lecture


India van Spall

India van Spall

Responsable éditorial

Chaque année, près de 62 millions de tonnes de déchets électroniques sont produits dans le monde, un volume qui croît cinq fois plus vite que la capacité de recyclage ne progresse. Aux côtés de Franck Pramotton, expert membre du Shift Project, on décrypte les dérives de l’obsolescence programmée et les pistes d’actions durables pour inverser la tendance.

Après la fast fashion, la "fast tech"

La fast fashion, ça vous parle ? Ce modèle bien rodé de l’industrie textile repose sur une production massive de vêtements conçus pour ne pas durer. On consomme, on jette et on recommence comme pour répondre à une envie constante de nouveauté, sans jamais mesurer l’impact de ce cycle effréné en termes d’environnement.

Ce fonctionnement peut s’appliquer aux appareils électroniques : on parle alors de fast tech.   Retenez ce terme : il résume parfaitement le cycle d’achat inutile, d’utilisation variable et d’abandon rapide des appareils électroniques.

Les exemples ne manquent pas : un téléphone neuf chaque année, des écouteurs "intelligents" qui ne tiennent guère plus d’un an, ces gadgets utilisés deux fois et qui finissent oubliés au fond d’un tiroir…

De nos jours, les géants de la technologie inondent le marché de nouvelles versions du même appareil, même quand les anciennes versions fonctionnent encore. Ce que l‘on ne perçoit pas toujours, c’est que l’obsolescence programmée se manifeste aussi par des appareils incompatibles avec les dernières mises à jour ou des batteries qui se détériorent. Ce mécanisme nous incite à remplacer nos équipements plutôt que de les réparer pour prolonger leur durée de vie. Qui n’a jamais été tenté par une campagne marketing attrayante, promettant un produit révolutionnaire qui transformerait notre quotidien ?

Ce phénomène révèle un problème de fond.

La crise des déchets électroniques

D'après le rapport 2024 Global E-waste Monitor d'UNITAR, la production de déchets électroniques croît cinq fois plus vite que la capacité de recyclage officielle. En 2022, parmi les 62 millions de tonnes de déchets électroniques générées à l'échelle mondiale, seuls 22,3 % ont été collectés et recyclés. L’équivalent de 91 milliards de dollars de ressources naturelles précieuses, comme l'or et le cobalt, ont donc été inexploitées, aggravant les risques de pollution des écosystèmes vulnérables à travers le monde.

Un produit jeté muni d'une prise ou d'une batterie constitue une menace pour la santé et l’environnement, car il renferme des substances toxiques comme le mercure. Celles-ci peuvent avoir des effets dévastateurs. Sans changement rapide, les conséquences sur notre avenir pourraient être dramatiques.

The Shift Project, un think tank français qui œuvre pour la décarbonation de l'économie, est un exemple d’organisation qui a pour mission d'insuffler le changement.

"Notre priorité est de réduire les émissions de carbone au sein de la société et d’optimiser la répartition des ressources essentielles restantes, en particulier celles qui sont limitées ou particulièrement vulnérables sur le plan environnemental", déclare Franck Pramotton, architecte informatique et membre du Shift Project. "Nous intervenons en tant que consultants, en collaborant avec des ONG, des législateurs et des organismes publics pour sensibiliser et réduire l’impact écologique du numérique."

La réparation, un enjeu crucial

Une collaboration transversale est indispensable. En effet, le cadre juridique lié aux déchets électroniques mondiaux est complexe.

"Des accords internationaux, tels que la Convention de Bâle, permettent aux pays de réguler les déchets entrant sur leur territoire et prescrivent aux pays exportateurs d'en assurer une gestion responsable", explique Franck. "Il y a aussi la Convention de Bamako, qui interdit l'exportation de déchets dangereux vers l'Afrique, mais tous les pays ne l’ont pas ratifiée. Par exemple, le Ghana, qui reçoit une grande quantité de déchets électroniques, ne l’a pas signée", poursuit-il.

Pour mettre fin à l’expédition illégale et à l’abandon des déchets électroniques dans les pays en développement, des organisations comme The Shift Project militent en faveur d'une approche durable. Trois solutions sont proposées : réparer, réutiliser ou recycler.

"En théorie, les déchets électroniques devraient être envoyés dans une usine de recyclage convenablement gérée. Mais en réalité, seuls 20 à 22 % du volume total y sont acheminés", explique Franck. 

"Des initiatives visent également à rendre les appareils plus réparables, afin de réduire leur mise au rebut fréquente. L'UE, par exemple, ambitionne de recycler 85 % des déchets électroniques, mais ce chiffre n'atteint pour l'instant que 40 à 60 % dans la plupart des pays membres. Hélas, de nombreux petits appareils ou téléphones finissent encore à la poubelle, puis dans une décharge et un incinérateur.

C’est précisément à ce niveau qu'on peut agir en tant que consommateur. On ignore souvent les problèmes environnementaux quand ils nous semblent lointains. On sait que les déchets électroniques nuisent à l’environnement, mais on se sent à mille lieues de cet impact. Et pourtant, la réalité nous rattape : inondations fréquentes, incendies de forêt dévastateurs et fonte des glaciers sont des signes tangibles des conséquences du changement climatique qui nous affectent tous.

Adopter des comportements plus responsables, privilégier des vêtements de seconde main, réparer nos appareils plutôt que les remplacer… Tous ces gestes contribuent directement à un modèle économique plus respectueux de l’environnement.

"La fast tech fonctionne sur les mêmes ressorts que la fast fashion : publicité agressive, effet de mode, pression sociale et obsession de la nouveauté. On progresse sur le recyclage, certes, mais à un rythme bien trop lent. Le chantier est immense", analyse Franck.

Revenez en haut de l’article pour accéder à notre interview vidéo de Franck Pramotton, et découvrez-en plus sur The Shift Project ci-dessous.

India van Spall

Écrit par India van SpallResponsable éditorial

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