
Si vous n’avez pas vécu dans les bois cette année, vous savez sans doute que Microsoft abandonne Windows 10. Découvrez ce que cela implique concrètement pour les utilisateurs, et pourquoi cette décision controversée risque de produire une montagne de déchets électroniques.
Selon l’association Halte à l’obsolescence programmée, l’arrêt de la prise en charge de Windows 10 forcera des millions d’utilisateurs à changer d’appareil et entraînera jusqu’à 400 millions d’appareils jetés.
Ce changement prendra effet en octobre 2025. Concrètement, plus aucune mise à jour de sécurité, fonctionnalité gratuite, ni assistance technique ne sera disponible sous Windows 10. Si vous pensez qu’il suffira de passer à Windows 11, détrompez-vous : Microsoft impose des exigences techniques strictes pour que votre appareil soit compatible avec son dernier système d’exploitation.
"Ces obstacles technologiques concernent principalement le matériel et les fonctionnalités de sécurité intégrées, comme les processeurs de nouvelle génération (la puce qui fait tourner le système et les applications), le module TPM 2.0 (qui protège l’identité de l’utilisateur et chiffre les données) et au moins 4 Go de mémoire vive", explique Kewin Charron, directeur de l’Innovation Lab chez Back Market.
Certains modèles populaires ne seront pas compatibles : Microsoft Surface Pro 5, Lenovo ThinkPad T460/T470 ou HP EliteBook 840 G3/G4, entre autres. Au total, cette obsolescence programmée pourrait concerner jusqu’à 400 millions d’ordinateurs portables et de bureau.
"Microsoft est forcément conscient du volume de déchets que cette décision va générer. On n’avait jamais vu ça !" - Nathan Proctor, PIRG
Depuis 2023, dans le cadre de son engagement pour le droit à la réparation, l’organisation nord-américaine Public Interest Research Group (PIRG) milite pour que Microsoft prolonge le support de Windows 10. L’organisation ne fait pas dans la demi-mesure : prises de position publiques contre la décision du géant de la tech, mobilisation en ligne, et même une marche jusqu’au siège de Microsoft pour remettre en personne une pétition signée par 20 000 personnes. "Microsoft est forcément conscient du volume de déchets que cette décision va générer. On n’avait jamais vu ça !", explique Nathan Proctor, responsable de la campagne pour le droit à la réparation chez PIRG.
"Ces appareils pourraient encore fonctionner sans problème pendant cinq à dix ans. Mais sans mises à jour ni support, les utilisateurs risquent de tout perdre. Il faut bien comprendre qu’il n’y aura plus de correctifs de sécurité ni d’assistance technique", ajoute Oliver Taylor, directeur des opérations de Zero Waste Tech, une entreprise britannique spécialisée dans le recyclage et le reconditionnement informatique. Par conséquent, particuliers et entreprises se ruent sur les nouveaux équipements compatibles avec Windows 11, abandonnant ainsi leurs appareils prochainement obsolètes et provoquant une véritable vague de déchets électroniques.
Que deviendront les anciens ordinateurs ?
L’obsolescence programmée par les fabricants n’est pas un phénomène nouveau. Apple avait déjà cessé la mise à jour d’iOS jusqu’à l’iPhone 8, et Microsoft avait depuis longtemps mis fin au support de Windows 7 et 8.1. Ce qui est nouveau avec Windows 10, c’est l’ampleur du phénomène : jamais une transition forcée n’avait touché autant d’appareils en même temps.
Où vont aller ces appareils et comment éviter de les abandonner ? Trois solutions existent : la revente, la remise à neuf (qui peut inclure des améliorations logicielles ou matérielles), et le recyclage, qui peut prendre des formes variées. Chez Zero Waste Tech, Oliver constate que les appareils non compatibles, mais récents ont tendance à être revendus, tandis que les plus anciens sont reconditionnés. Les appareils irréparables sont démontés, puis recyclés.
Pourtant, certaines entreprises de recyclage envoient les ordinateurs directement au broyage pour récupérer les matériaux, privant ainsi les consommateurs d’appareils encore utilisables. "Une fois que les appareils sous Windows 10 atteignent leur prix le plus bas, le reconditionnement n’est plus assez rentable", explique Marek Albert, responsable plateforme chez l’entreprise slovaque de reconditionnement Furbify.

Les modèles populaires qui ne répondent pas aux exigences de mise à jour peuvent être considérés comme des déchets électroniques.
Selon Daniel Miguelez, responsable qualité chez Back Market, les acteurs de l’économie circulaire se concentreront plutôt sur la reprise d’appareils récents compatibles avec Windows 11 pour les revendre. "C’est à ce moment-là que les prix des ordinateurs sous Windows 10 chuteront et que les circuits alternatifs prendront en charge ce stock déprécié", précise-t-il.
Une étude interne de Back Market sur la fin imminente des machines sous Windows 10 a déjà révélé des résultats préoccupants. "Aucun des vendeurs que nous avons contactés aux États-Unis n’avait encore ces ordinateurs dans son inventaire. Où sont-ils passés ?", s’interroge Nina Quellier, responsable de l’activisme de marque chez Back Market.
Certains ont peut-être été vendus directement aux consommateurs tant que c’était encore possible. D’autres ont pu être écoulées en gros vers des entreprises ou des revendeurs, et certaines ont probablement quitté le pays. Reste le scénario le plus préoccupant : des machines encore fonctionnelles envoyées à la casse", ajoute-t-elle.
Adrian Saunders, défenseur de l’économie circulaire et co-fondateur de l’entreprise australienne de recyclage d’appareils Whirl Recycling, souligne les graves conséquences de ce scénario. "Si ne serait-ce qu’une partie des appareils Windows 10 finit à la benne ou est traitée trop tôt, cela représente des millions de tonnes de déchets supplémentaires. Il ne s’agit pas seulement de plastiques et de métaux, mais aussi de terres rares, de lithium et d’autres ressources critiques", avertit-il.
L’extraction et la production des matériaux utilisés pour fabriquer de nouveaux appareils ont un coût social et environnemental considérable. En plus de générer d’importantes émissions de carbone, ces opérations polluent les sols, l’air et l’eau, et exposent les mineurs à des substances toxiques. Nina rappelle que même lorsque les appareils sont envoyés au recyclage, le traitement des terres rares reste coûteux et complexe. Seul 9 % du plastique est effectivement recyclé. "Sur le plan environnemental, c’est insensé", s’insurge-t-elle.
Quand les pays émetteurs délocalisent le problème
Alors que les déchets électroniques explosent, leurs exportations suivent la même tendance. Chaque année, 5,1 milliards de kg de déchets électroniques sont expédiés d’un pays à l’autre, profitant de failles réglementaires comme la Convention de Bâle. Celle-ci permet en effet d’exporter du matériel cassé sans le consentement du pays récepteur dès lors qu’il est déclaré destiné à la réparation ou à la réutilisation (en d’autres termes, quand il n’est pas officiellement considéré comme un déchet).
Ces déchets sont traités dans des pays à revenus faibles ou moyens comme le Ghana, l’Inde ou la Thaïlande, qui ne disposent pas d’infrastructures adaptées au recyclage. Les travailleurs locaux sont donc directement exposés à des composants dangereux. À Agbogbloshie, au Ghana, où plus de 15 000 tonnes de résidus sont traitées chaque année, des analyses ont révélé que les œufs pondus par des poules picorant dans la zone présentaient des concentrations extrêmement élevées de substances chimiques, notamment de dioxines chlorées hautement toxiques.
L’énorme masse de déchets envoyée par les pays consommateurs met en danger les populations des pays qui les reçoivent, et l’afflux soudain d’appareils rendus inutilement obsolètes risque d’aggraver la situation. T. S. Krishnan, expert en durabilité et en gestion des déchets électroniques, rappelle que, malgré ces défis, les "recycleurs informels" jouent un rôle crucial en donnant une seconde vie à ce qui aurait autrement été perdu. Selon lui, ils méritent d’être appuyés plutôt que marginalisés.
Nathan, du groupe PIRG, rappelle que l’extraction de minéraux pour les nouvelles technologies présente elle aussi de graves risques pour la santé des populations locales. Au lieu de hiérarchiser les problèmes, abordons-les de manière globale.
"Sur le plan environnemental, c’est insensé" - Nina Quellier, responsable de l’activisme de marque chez Back Market.
Quelles sont les voies alternatives ?
"Il faut lutter contre tout système qui sacrifie des appareils encore en état de marche", ajoute Nina. Une solution consiste à installer des systèmes d’exploitation alternatifs comme ChromeOS Flex ou Linux sur des appareils sous Windows 10. Cela prolonge leur durée de vie, évite les déchets et limite la consommation de nouvelles ressources pour fabriquer davantage d’appareils. Toutefois, ce processus peut encore sembler complexe pour les consommateurs.
Pour soutenir ces initiatives, Back Market lance une catégorie "Obsolète", permettant aux consommateurs d’acheter des appareils sous Windows 10 avec une notice détaillée et des conseils d’entretien, afin de savoir exactement à quoi s’attendre. Cette initiative renforce la confiance des utilisateurs dans l’adoption d’une démarche durable et fait émerger un écosystème de revente pour ceux qui souhaitent ensuite passer à un appareil compatible Windows 11.
Pour Adrien Saunders de Whirl Recycling, les revendeurs, recycleurs et reconditionneurs peuvent tout à fait adopter une approche similaire. "L’objectif est de prolonger la vie de ces appareils, en les améliorant lorsque c’est possible ou en les réaffectant à des tâches qui ne nécessitent pas de mises à jour constantes, afin de les maintenir hors des décharges."
Les pouvoirs publics ont également un rôle à jouer. "En incitant les fabricants à concevoir des produits durables, réparables et évolutifs, y compris en matière de compatibilité logicielle, ils peuvent contribuer à prolonger la vie des équipements informatiques et soutenir une économie plus circulaire", explique Augustin Becquet, président de l’association EUREFAS, qui rassemble des acteurs du reconditionnement.
À court terme, l’évolution de la situation dépend essentiellement de la décision de Microsoft. En revenant sur sa position, le géant de la tech pourrait sauver des millions d’appareils. Sans ce revirement, consommateurs et acteurs de l’économie circulaire devront valoriser les appareils sous Windows 10 par tous les moyens possibles. Comme le rappelle Nathan Proctor, représentant de PIRG, "les entreprises nous poussent à renouveler constamment nos appareils, et il est urgent de rompre ce cycle toxique". Une démarche qui n’a pas échappé à Back Market à travers sa campagne de promotion d’un "ordinateur Obsolète".